Histoire de notre résidence

Histoire de notre résidence

par M. Jean-Claude Clarac

avec  la précieuse aide et les souvenirs de Maurice Lyon-Caen, longtemps membre du conseil syndical

Dans la foulée des grands travaux du baron Haussmann, préfet de la Seine, fut décidée la percée d’un boulevard entre la rue Mouffetard et la barrière d’Enfer, qu’un décret impérial du 30 juillet 1859 déclara d’utilité publique. Le 12 mars 1864 il fut décidé d’appeler ce boulevard du nom de François Arago, 220px-François_Aragosavant attaché en particulier à l’Observatoire tout proche. Jul27575

A la même époque fut créé le XIIIème arrondissement de Paris (1860). Il aurait dû s’appeler XVIème, selon la logique des 12 premiers arrondissements, mais les habitants de la zone dévolue normalement au 13ème arrondissement ont refusé ce qu’ils considéraient comme infamant, car il y avait un adage qui disait « ils se sont mariés dans le 13ème » quand un couple vivait en concubinage…

Revenons à la création du boulevard Arago.

RTEmagicC_portrait-hunebelle_01.jpgPour la réalisation de ces grands travaux, l’État désigne un concessionnaire, en l’occurrence messieurs Pierre Alphonse, dit Jules Hunebelle et Legrand, qui constituent ensemble une société en nom collectif, la Société du Boulevard Arago (28 juin 1866). La société concessionnaire achète à l’État, après expropriation, les terrains et immeubles de la zone concernée, ce qui fournit à l’État le financement des travaux. Il se trouve que ceux-ci sont confiés à Jules Hunebelle. – pour l’anecdote, pour l’exposition universelle de 1878, Jules Hunebelle construit le pavillon de l’alimentation, dont les éléments viendront ensuite constituer la Cité Fleurie.paris_13_cite_fleurie

La Société du Boulevard Arago rétrocède gratuitement toute la voirie réalisée à l’Etat, et, après partage entre associés, Jules Hunebelle s’est trouvé être le premier propriétaire de ce qui deviendra, bien ultérieurement, le foncier de notre résidence.
Le temps s’écoule, Jules Hunebelle, conseiller général de la Seine, maire de Clamart, vend des terrains, construit des immeubles, qu’il donne en location. C’est ainsi que naît en 1894 ce qui deviendra le 47 rue de la Santé- 73 boulevard Arago, une portion de terrain au carrefour des deux voies, vendue à M. Colignon. Le long de la rue de la Santé, Jules Hunebelle construit des immeubles, qui seront loués ultérieurement (1905, à Henri Pelcot, sculpteur).
Mais Jules Hunebelle décède le 22 janvier 1900. Il laisse une veuve, sa deuxième épouse, Marie Pauline Jung et quatre enfants adoptifs. La succession se règle de sorte que les quatre enfants deviennent propriétaires-indivis des « terrains et immeubles Arago » (27 février 1901).
De façon connexe, le long de ce qui est alors encore la rue Broca (elle ne deviendra Léon-Maurice Nordmann qu’en 1944), des habitations et terrains achetés aux Hospices de la Ville de Paris en 1812 sont passés de main en main jusqu’aux époux Zoeller.
C’est entre 1904 et 1907 que naît véritablement la propriété, un peu plus grande en vérité (9269 m²), qui servira d’assise aux Jardins d’Arago.
Tout d’abord, le 1er décembre 1904, les héritiers Hunebelle effectuent une dissolution de leur indivision : ils en attribuent une moitié à l’un d’entre eux, Paul Manen-Hunebelle et ils cèdent l’autre moitié à Achille Senot, ces moitiés devant rester indivises. Cela représente 8528 m².
Puis, le 15 mars 1907, l’indivision Manen-Senot acquiert les bâtiments et terrains Zoeller, 741 m² aux 152 et 154 rue Broca.
C’est alors que l’indivision projette de vendre aux enchères la propriété (juin et octobre 1907) dans laquelle deux rues doivent être ouvertes, l’une traversant la propriété du boulevard Arago jusqu’à la rue Broca, l’autre rejoignant la rue de la Santé à partir de cette première rue. Pour que ce soit peut-être plus clair, la 1ère rue correspond plus ou moins à l’allée principale du square Henri Cadiou et la seconde aurait traversé notre jardin entre le rond-point et la palissade. Cela ne se fera pas…
En 1907 et 1908 respectivement, d’autres baux sont mis en place. En juillet 1907, modifiant en cela le bail d’Henri Pelcot, les immeubles des n°49,51 et 53 de la rue de la Santé et un terrain contigu sont loués à Charles Zang et madame, des personnages que l’on va rapidement voir jouer un rôle important dans l’histoire de notre résidence.
1pris_sant1En outre, au numéro 55 de la rue de la Santé, un petit immeuble sera loué en 1908 à la Société Veuve Richard et Cie qui en fera le café « A la bonne Santé », juste en face de la prison donc, laquelle avait été construite entre 1861 et 1867.
Nous arrivons en 1913. Le XIIIème arrondissement est ouvrier, de nombreuses entreprises industrielles ou artisanales s’y sont installées. La famille Zang, à la tête de laquelle se trouvent Charles Auguste, par ailleurs maire-adjoint de l’arrondissement et son épouse Elisa Mathilde Schott, et qui demeure au 53, rue de la Santé, a le projet d’installer dans cette partie du XIIIème une usine fabricant des machines à faire les filets de pêche !

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Ils achètent le 10 juillet 1913 une partie substantielle de la propriété de l’indivision Manen-Senot, délimitée à l’est par le tracé de la rue projetée en 1907 et au sud par le terrain ex-Zoeller. Cela représente 4253,60 m².
Le bail de la société Veuve Richard et Cie est maintenu, celui des Zang, devenus propriétaires, n’ayant plus de raison d’être. Ce n’est pas tout.
Le 10 avril 1914, l’indivision Manen-Senot et la famille Zang signent un nouveau contrat. Aux termes de ce contrat, le projet de rue entre le boulevard Arago et la rue Broca est abandonné, ainsi que toutes les servitudes qui en résultaient. Cette clause permet de vendre, en toute propriété, le reste de ce que possédait l’indivision Manen-Senot, 4363,15 m² allant jusqu’à la rue Broca et incluant ce qui est aujourd’hui le square Henri Cadiou.
C’est ainsi, et après quelques constructions, que le terrain sur lequel est bâtie notre résidence devint terrain industriel, occupé par une usine qu’on aurait peut-être plus facilement imaginée dans un port. On y fabrique des machines à faire des filets de pêche, et cette activité
perdurera à cet endroit jusqu’en 1979. Charles Auguste Zang disparaît en novembre 1929, laissant 5 enfants qui se partagent l’héritage en 1932 par donation de leur mère . Louis,
l’aîné, hérite du 49, rue de la Santé et du 69, boulevard Arago ; Marthe reçoit le 71 Arago (71bis aujourd’hui) ; Robert les 142 à 154, rue Broca ; enfin, Charles hérite des 51, 53 et 55 rue de la Santé. C’est Charles qui poursuit l’activité industrielle. Nos sources ne nous permettent pas de
savoir ce qui revient au 5ème enfant, Paul.

En 1936, Louis vend à sa sœur Marthe un bout de terrain, qui est aujourd’hui la petite pelouse du 71bis, puis, en 1937, il agrandit son domaine en achetant à son frère Robert le 142 de la rue Broca, qui se prolonge sur ce qui est aujourd’hui notre jardin, le long du chemin de l’école. Dans ce grand domaine, il installera un peu plus tard des tennis sur terre battue, qui fonctionneront jusqu’en 1987.
En 1949 arrive le moment d’une plus grande rationalisation. Charles, l’industriel, crée la SARL Charles Zang et Cie, à qui il apporte les 51 et 53 rue de la Santé. Louis en fait de même avec les 49, rue de la Santé. En 1962, Charles transforme la SARL en Société anonyme à qui il donne le nom de la Société Française des Filets.

En 1972, Marthe Zang décède, sans descendant. Ses biens, c’est-à-dire, l’immeuble devenu aujourd’hui le 71bis, et quelques arpents autour, reviennent à ses neveux et à Louis. Ils vendent très vite (23 mars 1973) à la Société Civile Immobilière du 71 boulevard Arago, qui entreprendra une rénovation de l’immeuble avant de le vendre par appartements.
Nous arrivons ainsi à l’aube des années 80.
Charles Zang envisage de quitter la rue de la Santé, peut-être pour plus grand ou plus fonctionnel : il a un objectif à Gentilly. Donc, il en parle à la SCI du 71 boulevard Arago qui y voit sans doute une opportunité puisqu’elle demande un permis de construire qui sera accordé le 24 janvier 1979. A un ou deux détails, notre résidence est conçue.
L‘architecte est Claude Kimmoun.
Cela étant, il faut sans doute un autre opérateur ; ce sera le cas avec une société « voisine », la SCI du 69 boulevard Arago. Celle-ci a été créée en 1975, mais elle n’a pas, semble-t-il, d’activité. Intéressée par l’opération qui se profile, elle change son nom et devient la Société civile immobilière « Les Jardins d’Arago » le 13 décembre 1979. Le promoteur, gérant de la SCI est la société UFIC-SIVEGI.
Dès lors, les choses vont assez vite : la société civile immobilière « Les Jardins d’Arago » achète le 28 décembre 1979 à la Société Française des Filets les 4137 m² de la parcelle des 49,51 et 53 rue de la Santé. Un peu plus tard, elle achète à la SCI du 71 boulevard Arago une parcelle de 127 m², destinée à être incorporée à la précédente pour permettre un accès au boulevard Arago.
Le permis de construire, d’abord prorogé est ensuite transféré à la SCI « les Jardins d’Arago » le 31 mars 1980. Après une petite modification qui nous vaut un 3ème sous-sol, le chantier est ouvert le 18 août 1980. La Banque de la Hénin finance les travaux.

Par ailleurs, une décision administrative remet de l’ordre dans la numérotation du boulevard Arago : la SCI « Les Jardins d’Arago» reçoit le numéro 71 et l’ancien 71 devient 71bis.
Il ne reste plus qu’à construire et vendre, ce qui conduira jusqu’en 1984, en raison d’une crise immobilière qui a ralenti les ventes. Néanmoins, les premiers occupants, sauf erreur, ont intégré la résidence dès 1982. Le temps s’écoule, mais il faut mentionner deux faits importants qui ont émaillé l’histoire de notre résidence jusqu’à aujourd’hui.
Il y eut tout d’abord « l’affaire du jardin public ».
Au 69 du boulevard, il y avait des tennis, fonctionnant de mai à fin novembre, qui donnaient à notre environnement, avec la Cité Fleurie derrière, un petit côté provincial.
Fin 1987, début 1988, la mairie du XIIIème rachète l’ensemble des terrains du 69, boulevard Arago, propriété ancienne de Louis Zang. Le projet sous-jacent de la mairie de Paris, tenue alors par Jacques Chirac, est de construire une école privée. La copropriété s’y oppose, souhaitant garder un environnement de verdure. Elle crée en son sein une « Association pour le maintien des espaces verts du 69 Bd Arago » et elle intervient directement auprès du maire du XIIIème, Jacques Toubon.
Après plusieurs réunions et l’examen de contreprojets, c’est la victoire, le 14 octobre 1988 : la ville renonce à son projet et les services de la mairie du XIIIème imaginent la création d’un jardin public et profitent de l’assiette foncière vers la rue Léon-Maurice Nordmann pour agrandir l’école primaire qui s’y trouve. Le passage vers cette rue est créé et la copropriété échange des petites parcelles (80m²) de terrain avec la mairie, de façon à rendre rectiligne le tracé du passage.

C’est ainsi que naît en 1990 le square Henri Cadiou, empruntant son nom à un peintre ayant vécu et travaillé dans la Cité Fleurie et qu’il est ensuite doté d’une sculpture d’un autre artiste de la Cité, César Domela. Comme l’avait demandé l’association, il y a dans ce square des tables de ping-pong et des jeux pour enfants.
La seconde affaire fut plus rude.
On se rappelle que sur les terrains appartenant originellement à Jules Hunebelle, le 55, rue de la Santé avait été loué à un bistrotier, qui avait nommé son café « A la bonne santé », juste en face de la porte de sortie de la prison de la Santé. Tant sans doute pour des raisons morales que pour répondre à un besoin, l’administration pénitentiaire rachète le 55, pour y aménager un local d’accueil des familles des détenus se rendant aux parloirs. Le temps s’écoule, puis ce projet est abandonné pour être plutôt réalisé de l’autre côté de la prison.
En 1995, le maire du XIIIème, qui est toujours Jacques Toubon, informe la copropriété que l’on va construire sur le terrain du 55 un immeuble pour les personnels de la Santé.
Au début, l’affaire somnole quelque peu, car ce n’est qu’en 1997 que le bâtiment existant est démoli et en octobre 2002 qu’est déposée la demande de permis de construire. On apprend bien vite qu’il doit s’agir d’un R+5 (voire R+6) et qu’il comprend des ouvertures ouvrantes sur notre jardin. Les règlements d’urbanisme (COS, hauteur) sont ignorés et la mitoyenneté du mur de séparation négligée. En outre, les responsables nous demandent un droit de passage par le 71 Arago et nos jardins pour accéder à cet immeuble.
Le 8 février 2006, le permis est accordé. La copropriété, réunie en
assemblée générale en mars (et avril) 2006, décide de s’opposer à ce permis et dépose sa requête auprès du tribunal administratif. Celui-ci rejette la requête en référé (16 mai).
A partir de là, le cheminement va être âpre et difficile, suivi heureusement par un copropriétaire très au fait de ces questions juridico-administratives, Maurice Lyon-Caen.
En octobre 2006, en appel, le Conseil d’Etat annule l’ordonnance du 16 mai et suspend le permis de construire.
Le dossier repasse à la case en tribunal administratif (novembre 2006), puis au Cour administrative de l’Etat (mars 2007) pour finir au niveau ultime, le Conseil d’Etat à nouveau, mais comme instance de cassation, lequel annule définitivement le permis de construire (31 décembre 2008).
L’affaire a coûté un montant important de frais d’avocats à la copropriété, tempérés par des compensations de 2 et 3000€ accordées par les tribunaux.
Voilà quelques années de l’histoire de notre copropriété. Les nombreux détails ne sont pas destinés à rester en mémoire. Ils témoignent que les longs fleuves tranquilles comportent cependant des méandres et des tourbillons.

Tout ceci a pu être écrit grâce à l’importante documentation réunie par Maurice Lyon-Caen, qui a longtemps fait partie du conseil syndical. Nous l’en remercions.
L’histoire de notre copropriété continue de se construire et de défiler chaque jour.

Pour aller plus loin :

A suivre…